L’attentat de la discothèque « Reina » à Istanbul le 31 décembre dernier, revendiqué par Daesh, est le dernier d’une demi-douzaine d’attentats menés par l’organisation terroriste depuis 18 mois en Turquie. Les larmes et la dévastation sont un terreau fertile pour les extrémismes et complotistes de tous bords. En devenant une arme politique au service du gouvernement turque, les théories complotistes ont montré qu’elles ne sont l’apanage de personne.
Recep Tayyip Erdogan, à la tête de la Turquie depuis treize ans, est actuellement confronté à de fortes oppositions politiques. À son arrivée à la tête de la Turquie, en 2003, Erdogan est d’abord perçu comme un modèle de modernité, réussissant à concilier islam modéré et démocratie. Avec en toile de fond l’espoir d’une admission de la Turquie dans l’Union européenne, il y fait rapidement progresser la démocratie et les droits de l’homme. La stagnation des négociations d’entrée dans l’UE, à partir de 2007, et son sentiment concomitant d’abandon par Bruxelles, va conduire Erdogan à resserrer son emprise sur la Turquie, où l’armée le menace d’un coup d’État. Dans le même temps, la Turquie se tourne vers le Moyen-Orient, pour enfin jouer un rôle de puissance régionale, à la hauteur des ambitions de son président. Elle s’y engage ainsi activement aux côtés des rebelles, qui combattent Bachar Al-Assad.
En 2013, Erdogan réprime les manifestations de la place Taksim, en 2013, et s’enfonce de plus en plus dans une dérive autocratique. Le putsch de l’armée du 15 juillet 2016 est l’occasion rêvée pour lui d’affermir son emprise sur le peuple turque. Le président turc entreprend alors une vaste chasse à ses opposants, dans les rangs de l’armée, de la justice ou encore de l’éducation.
Face à l’agitation interne créée par ces mesures répressives, Erdogan, ancien maire d’Istanbul, veut faire porter le chapeau de l’agitation qui secoue la Turquie aux occidentaux, les Etats-Unis en tête. Cette tendance à crier au complot n’est pas nouvelle en Turquie, dans une région du monde où les interventions des armées occidentales ont été nombreuses. En juin 2013, Erdogan avait ainsi accusé la presse internationale de falsifier sa couverture des manifestations turques. Difficile à croire, au regard du millier de blessés turques pendant les manifestations de la place Taksim cette année-là, suite à l’assaut des forces de police. En utilisant l’attentat de Reina, Erdogan utilise donc une vieille recette politique, celle du leurre. En diffusant de fausses théories accusant les américains d’être à l’origine de l’attentat, il tente de limiter les critiques sur sa gestion autocratique de la Turquie.
Selon Erdogan, la CIA américaine aurait, en organisant l’attentat du 31 décembre 2016, répondu à l’instauration d’un cessez-le-feu en Syrie, le 30 décembre. Cette trêve, fruit d’un accord conclu entre la Turquie, l’un des principaux parrains de la rébellion, et la Russie de Poutine, soutien du régime syrien, avait laissé Washington hors jeu. Un changement d’alliance diplomatique et un affront majeur pour les Etats-Unis. Ayant une bonne raison de se venger de la Turquie, Washington devient aux yeux de Erdogan le coupable parfait du prétendu complot occidental qui menaçerait la Turquie. En toile de fond, la volonté de Erdogan de masquer les conséquences de la politique répressive qu’il mène en Turquie depuis bientôt dix ans est évidente. Rien de tel qu’une théorie complotiste pour se refaire une virginité politique.