Pourquoi il faut se méfier des types bizarres qui truffent leurs phrases de citations invérifiables du Coran

Certaines personnes, qui se présentent souvent comme des « savants », des « imams » ou des « prêcheurs » agrémentent leurs discours de versets du Coran. Bien souvent, cela impressionne et, surtout, donne du crédit à ce qu’ils disent. Normal, car si ce que je dis est validé par la parole de Dieu, alors ce que je dis ne peut être faux, et doit être suivi à la lettre.

Sauf que qui vous dit que la citation du Livre Saint soit vraiment juste ? Qui vous dit qu’elle n’a pas été détournée de son contexte, ou bien mal traduite, ou encore mal interprétée ? Personne, en réalité. Je peux moi aussi, tandis que nous discutons, appuyer mon argument grâce à une « citation » du Coran. Exemple : je vous parle des dangers des réseaux sociaux et des rumeurs invérifiables qui se propagent sur Internet. Vous me répondez que les réseaux sociaux ne sont pas dangereux et qu’Internet, c’est utile. Je vais alors appuyer mon argument en vous citant un verset du Coran : « Et Dieu a dit : méfiez-vous des colporteurs de ragots et de tous ceux qui font commerce de la parole ». Tout de suite, mon argument a beaucoup plus de poids, n’est-ce pas ? Et tout de suite, pour peu que vous soyez croyant, vous n’allez pas me contredire, car ce serait contredire la parole de Dieu.

Maintenant, imaginez la même chose avec ces choses horribles que, parfois, certaines personnes profèrent en se référant à l’islam et en se fondant sur la parole de Dieu : des crimes contre des non-musulmans, la lapidation, le meurtre, des attentats au nom du « djihad », etc. Chaque fois, ces propos sont proférés, par exemple par Daech, au nom de Dieu, au nom de la religion, au nom de l’islam, avec beaucoup de citations et de versets du Coran. Mais qui vous dit que ces versets sont justes ? Qui vous dit qu’ils n’ont pas été inventés, ou bien déformés, dans un but bien précis qui n’a rien à voir avec la religion ?

Si je vous dis : « Dieu ordonna à ses serviteurs de châtier les innocents » pour justifier le meurtre de chrétiens ou d’athées, par exemple, tout en précisant que cette citation provenait du Coran, en ajoutant le numéro de la sourate et du verset, qu’allez-vous faire ? La citation est formulée en termes simples, compréhensibles, et dans le style des autres versets, mais elle est juste fausse, inventée de toute pièce.

Exemple avec l’interdiction de la musique. Lorsqu’un type, dans une vidéo postée sur internet, vous raconte d’un air sérieux et pénétré que « celui qui écoute régulièrement de la musique court le risque d’être transformé en singe ou en porc par Allah », et qu’en plus, celui qui dit ça se présente comme un « imam », exerçant dans une mosquée (celle de Brest en l’occurrence), certains peuvent malheureusement être tentés de le croire. Et les véritables personnes qui font autorité dans ce domaine auront bon dire que c’est absurde, qu’il n’y a AUCUNE sourate faisant explicitement référence à la musique dans le Coran, que la musique ne constitue pas un interdit, que le mec de Brest qui raconte ces sornettes est un fanatique qui n’a rien à voir avec la religion musulmane, ou quand l’imam de Bordeaux (qui est authentique imam, lui) explique, dépité, qu’il faudrait enfermer cet énergumène dans un asile psychiatrique, c’est déjà trop tard. Le mal est fait, la vidéo circule, de jeunes gens crédules vont croire que la musique est une « créature du diable ».

 


Tareq Oubrou « On a ethnicisé des problèmes qui… par franceinter

Le Coran est un texte très subtil, qui manie remarquablement l’équivoque, le double sens, la polysémie. Pour le comprendre, il faut beaucoup de culture, des années d’apprentissage. Aussi, des précautions minimales sont à prendre lorsque vous entendez quelqu’un citer un verset du Coran.

Le Coran lui-même fait la distinction entre des versets clairs, ou univoques (« Muhkam » en arabe) et des versets ambigus, ou équivoques (« mutashâbih »). Le 7ème verset de la sourate de la Famille d’Imran est de ce point de vue éloquent :

« C’est Lui qui a fait descendre sur toi le Livre: il s’y trouve des versets sans équivoque, qui sont la base du Livre, et d’autres versets qui peuvent prêter à d’interprétations diverses. Les gens, donc, qui ont au cœur une inclination vers l’égarement, mettent l’accent sur les versets à équivoque, cherchant la dissension en essayant de leur trouver une interprétation, alors que nul n’en connaît l’interprétation, à part Allah. Mais ceux qui sont bien enracinés dans la science disent: «Nous y croyons: tout est de la part de notre Seigneur!» Mais, seuls les doués d’intelligence s’en rappellent. »

Hormis les versets « équivoques », dont la compréhension est difficile en raison de leur double sens, et qui peuvent donc être interprétés de plusieurs façons, il y a aussi, bien souvent, des problèmes de traduction (citer le Coran requiert de savoir le lire dans sa langue originelle, donc de maîtriser l’arabe, et pas seulement des rudiments), des problèmes de contextualisation aussi car, bien entendu, une phrase ayant un sens précis au 7ème siècle peut ne pas avoir le même sens maintenant.

Comprendre un verset du Coran demande donc de la culture, des connaissances, une certaine distance critique. Quelles précautions prendre, alors ?

D’abord, se demander qui parle ? Quelle est sa légitimité à parler ? Au nom de qui parle-t-il ? A-t-il la culture de l’islam, les connaissances et qualifications requises pour s’exprimer sur le sujet ? Ces connaissances sont-elles vérifiables ? Il est tellement simple de falsifier un verset, de le détourner de son sens véritable, ou bien de l’inventer, carrément, dans le but de tromper, d’induire en erreur, qu’il faut être très prudent.

Ensuite, faire preuve d’esprit critique, non par rapport au Coran si vous êtes croyant bien sûr, mais par rapport à ses interprétations, et à ceux qui l’interprètent ? Le verset cité existe-t-il seulement ? Que dit-il précisément ? N’y a-t-il pas un problème de traduction ? N’est-il pas contredit par un autre verset ? N’est-il pas « équivoque », donc à double sens ?

Ces précautions sont bien entendu particulièrement essentielles face à la propagande de Daech. Cette organisation terroriste, qui se prétend être un « Etat islamique », se réclame de la religion musulmane, en la détournant, pour commettre ses atrocités.

Pour combattre cette propagande, une pléiade d’intellectuels musulmans sunnites du monde entier ont décidé en 2014 de rédiger une lettre ouverte au chef de Daech (traduit ensuite en anglais et en français) pour, non seulement condamner les crimes de l’organisation djihadiste, mais surtout expliquer que ses agissements, commis au nom de l’islam, étaient… de la pure escroquerie. Le texte souligne notamment que la religion musulmane interdit d’émettre des fatwas «sans toutes les connaissances nécessaires exigées.» «Il est également interdit de citer une portion ou un verset du Coran -ou une partie d’un verset- pour en tirer une règle sans regarder tout ce que le Coran et l’Hadîth [tradition tirée des paroles du prophète Mohammed, NDLR] enseignent sur la question. Il faut également une maîtrise parfaite de l’arabe, langue de l’Islam. «Cela signifie maîtriser la grammaire arabe, la syntaxe, la morphologie, la rhétorique, la poésie, l’étymologie et l’exégèse du Coran», indique le texte.

Face à la propagande de Daech, comme face à des types sur Internet qui raconte des trucs trop gros, bizarres, il faut faire preuve de sens critique, questionner les propos, les mettre en perspective, s’efforcer de savoir qui parle et pourquoi il dit ça.

Par La rédaction

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