Eleanor Roosevelt, première victime des théories du complot aux États-Unis

La désinformation n’a pas toujours eu besoin de Facebook ou Twitter pour exister. Un zeste de racisme et une situation sociale compliquée ont suffit pour faire émerger la mère de toutes les théories du complot aux Etats-Unis. 1943, outre-Atlantique, une rumeur se propage à grande vitesse dans les ex-États confédérés. Elle accuse Eleanor Roosevelt, conjointe du président américain Franklin D. Roosevelt, de fomenter un coup d’État des populations noires contre les blancs.

À l’époque, c’est le bouche-à-oreille qui est le plus fort vecteur de diffusion d’informations. La rumeur envoie la démocrate Eleanor Roosevelt voyager au sein des anciens États confédérés, ces États ultra-conservateurs du nord des Etats-Unis longtemps opposés à la fin de l’esclavage. Celle-ci organiserait des clubs ayant pour but d’envoyer « la femme blanche à la cuisine en 1943 ». L’objectif serait d’inverser le rapport de force racial entre les communautés blanches et noires, désavantageant alors largement les populations noires, privées de droits civiques. Avec le départ des soldats à la guerre, en Afrique ou en Asie, la communauté blanche deviendrait alors vulnérable, face à une communauté noire collectant en masse des explosifs et autres pistolets. Le FBI de John Edgar Hoover, pourtant pas suspecté de proximité avec les démocrates, finit même par lancer une enquête formelle sur ces rumeurs, sans trouver d’éléments corroborant celles-ci.

En effet, Eleanor Roosevelt se contente de parcourir les Etats-Unis pour prôner l’égalité entre blancs et noirs. La ségrégation raciale bat alors son plein. Les mariages entre personnes blanches et noires sont interdits, et la population noire est séparée des blancs dans les autobus ou les restaurants. L’initiative de Eleanor Roosevelt est donc mal perçue par une partie des habitants de ces États du sud des Etats-Unis et suscite de vives critiques racistes « Où qu’elle soit allée, les noirs se comportent toujours comme s’ils étaient blancs » ou encore « De mon vivant, personne n’a créé autant de problèmes. Elle prêche et met en pratique l’égalité sociale ». Une gageure pour une femme politique qui présidera après la guerre la commission chargée de rédiger la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

La propagation de ces rumeurs traduit donc un vrai mal-être et un sentiment de déclassement au sein d’États où la guerre et la croissance économique ont chamboulé le statu quo racial du début du XXème siècle. La revendication de droits civiques par les populations noires, appuyées par Eleanor Roosevelt, déstabilise des populations pour la plupart peu éduquées, et donc victimes faciles des théories de désinformation. Dans ces États du sud des Etats-Unis, seulement 10% des enfants entrant à l’école primaire étaient diplômés du lycée dans les années 1940. Par ailleurs, les institutions étaient totalement déconnectées de la population, avec un taux de participation électoral de seulement 20%. Entre misère sociale et politique, de nombreux « sudistes » acceptèrent d’autant plus facilement ces théories du complot.

Il y a 75 ans éclatait donc un des premiers scandales de désinformation. Depuis, la problématique reste même, celle de la crédibilité de l’État et des médias face aux théories de désinformation, dans un contexte social explosif. Les institutions américaines seront-ils assez forts pour résister aux fake news ?

Source principale :

ZEITZ Joshua, Lessons from the fake news pandemic of 1942, Politico, March, 12, 2017.

Par La rédaction

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