Alors que les théories du complot pullulent sur Internet, boostées et relayées par les réseaux sociaux, Loïc Nicolas se livre à un utile décryptage du vocabulaire et des mécanismes du conspirationnisme.
Pour le chercheur, auteur d’un livre sur les « Rhétoriques de la conspiration », les théories du complot sont attractives car elles viennent réenchanter et réordonner le monde en y insufflant de la causalité.
« Avec elles, tout est clair, transparent, évident, lumineux : les événements dramatiques ont du sens ; le monde, malgré tout, est juste ; les méchants seront punis ; l’existence du complot ne fait aucun doute ; la vérité (pure, éternelle, rayonnante) triomphera. En somme, les théories en question livrent une vision du monde et de l’Histoire où tout est en ordre ; où le hasard n’est plus. Vision confortable et rassurante qui sécurise le rapport au sens en évacuant la possibilité du doute. À très peu de frais, ces théories aident ceux qui s’en réclament à restaurer leur puissance explicative perdue », explique-t-il dans un article paru dans Le Point et Conversation.
Pour lui, combattre le conspirationnisme passe moins par la lutte directe contre ces croyances que par la mise en place et la diffusion d’outils et de pratiques favorisant le sens critique, le débat, l’argumentation. Mais il faut aussi comprendre comment fonctionne la rhétorique conspirationniste et comment elle fonctionne. Loïc Nicolas évoque à cet égard plusieurs stratégies pour mieux saisir leurs ressorts.
Revenir à la critique et au doute
« En premier lieu, il y a la proclamation d’adhésion aux deux grands principes de la raison moderne : la critique et le doute. En d’autres termes, les dénonciations portées par lesdites théories ne se fondent pas sur une inspiration mystique ni sur la vision singulière d’un mage (ce qui serait d’emblée vu comme obscurantiste), mais sur une enquête et un examen critiques », indique Loïc Nicolas.
La preuve éthique : construire la confiance
« Ensuite, poursuit Nicolas, les théories du complot s’appuient sur l’attestation (largement factice, du reste) d’une totale objectivité du discours née de l’indépendance et de la liberté des sources. Celui qui porte la théorie en question, ou l’« expert » convoqué pour la valider, est forcément autonome et affranchi de toute institution publique. Il n’est, répète-t-il, inféodé à personne, ne représente que lui-même et finance ses recherches sur ses propres deniers »
La si gratifiante « chasse à la vérité »
La troisième stratégie, particulièrement puissante, identifiée par Loïc Nicolas concerne l’émotion gratifiante que peut susciter le sentiment d’appartenir au petit groupe d’élus « qui savent », qui ne se laissent pas berner, qui ont compris… « En somme, explique-t-il, les théories du complot se plaisent à jouer sur la dichotomie (extrêmement persuasive, du reste) entre, d’un côté, les ignorants dociles, abrutis par les discours, thèses, vérités « officielles », et, de l’autre, les « chasseurs de vérité » pour qui le complot est une réalité de tous les instants. »
Logique complotiste : crever les yeux
« Il s’agit là d’un processus très clair d’immunisation. Ceci veut dire qu’on peut douter de tout sauf de l’existence du complot lui-même. Complot dont l’évidence devrait, en bonne logique, crever les yeux de tous les honnêtes gens », analyse le chercheur, qui ajoute que « les discours conspirationnistes ont une large tendance à interpeller leurs détracteurs (et plus encore les comploteurs désignés) pour qu’ils prouvent qu’il n’y a pas de complot. »
Développer l’esprit critique des jeunes
Face à ces stratégies qui constituent les ressorts de la rhétorique conspirationniste, il est important, selon Loïc Nicolas, de développer l’esprit critique, surtout des jeunes, car ceux-ci sont doublement mis en danger. « D’une part, ils souffrent d’un manque de transmission des compétences argumentatives et oratoires en général, d’autre part, notre société, qui valorise à outrance l’accord et le compromis, leur renvoie une vision extrêmement dépréciée du désaccord et de la critique. Il s’agit là d’une incroyable source de vulnérabilité sur laquelle nous devons rapidement agir », met-il en garde.
Enfin, gardons-nous de nous ériger en donneurs de leçons… Car, prévient le chercheur, cela ne sert à rien et « nous sommes tous potentiellement complotistes, même si nous avons du mal à l’avouer. Personne n’est immunisé face au raisonnement par le complot. »