L’universitaire Patrick Chastenet analyse en quoi la désinformation d’aujourd’hui utilise les mêmes techniques de propagande qu’auparavant, en les renouvelant.
Les campagnes présidentielles américaine et française ont donné lieu à une prolifération de « fake news » impressionnante, diffusées sur les réseaux sociaux, en particulier Facebook et Twitter. Pourtant, explique Patrick Chastenet, si les supports de diffusion ont évolué, le « phénomène proprement dit de la production et de la diffusion de fausses nouvelles, d’informations mensongères visant à discréditer des leaders politiques, il est pour ainsi dire aussi vieux que la démocratie athénienne ». Pour preuves, l’affaire Markovic qui avait éclaboussé le futur président Pompidou en 1968 ou encore la campagne de diffamation qui a frappé Jacques Chaban-Delmas en pleine élection présidentielle de 1974.
Alors, les fake news de 2017 sont-elles au fond les mêmes qu’il y a 40 ans ?
« La propagande relève d’une manipulation de l’information faisant que tel individu ou tel groupe opère une action X qu’il n’aurait pas effectuée, ou aurait effectuée différemment, sans cette manipulation », analyse Chastenet. Cela signifie qu’on peut faire de la propagande avec de la vérité. Exemple : en 2007 quand Ségolène Royal, alors candidate du PS à l’élection présidentielle, est filmée à son insu en train de dire que les enseignants doivent travailler davantage. L’utilisation de ces images, qui sont bien une part de vérité, afin de nuire à la candidate est bien de la propagande.
Idem en 2017 quand on utilise de vieilles images de Pénélope Fillon, affirmant qu’elle ne fait rien auprès de son mari, pour nuire au candidat François Fillon. « C’est d’ailleurs parce que ce document était authentique qu’il a pu servir efficacement la propagande anti-Fillon », écrit Chastenet.
« C’est le plus souvent avec des informations exactes que l’on fait de la bonne propagande. Étant entendu que d’un point de vue éthique, même si la fin est juste, il n’existe pas de « bonne » propagande, car il s’agit toujours d’une manipulation et donc d’une atteinte à notre libre arbitre. D’un point de vue « technique », une propagande est bonne lorsqu’elle est efficace et elle est mauvaise lorsqu’elle échoue à convaincre et à manipuler », analyse Patrick Chastenet, qui souligne que la propagande ne cherche pas à créer quelque chose à partir de rien, mais à renforcer des idées reçues, des stéréotypes, des représentations, afin de nuire à quelqu’un (et donc servir quelqu’un d’autres !)
La frontière entre l’information et la propagande n’est pas aussi étanche qu’on le pense
C’est un peu ce qu’il se passe avec les réseaux sociaux, et Facebook en particulier, qui renforcent nos croyances en nous maintenant dans un cercle de confort informationnel : « Mes amis pensent comme moi puisque ce sont mes amis. Les médias pensent comme moi puisque mon fil est aussi celui de mes amis qui lisent ce que je lis et qui pensent comme moi, sinon ce ne serait pas mes amis ! » écrit Chastenet, qui ajoute que « la frontière entre la sacro-sainte information et la maléfique propagande est beaucoup moins étanche qu’on ne le croit généralement : d’abord, toutes les deux partagent les mêmes supports techniques (radio, TV, Internet) et les mêmes objectifs, ensuite, la première est la condition d’existence même de la seconde. »
« Ce n’est pas le manque d’informations qui explique la propagande, au contraire, c’est le trop-plein »
Sacré paradoxe que nous livre Chastenet : en fait, selon lui, nous serions addicts à la propagande. Nous en aurions même besoin ! « L’opinion a besoin d’être propagandée, car dans un monde toujours plus complexe et anxiogène, la propagande ordonne, simplifie et rassure en nous désignant le camp du bien et celui du mal », écrit-il. Autrement dit, c’est un peu nous qui fabriquerions les fake news !