Des pays musulmans veulent interdire le « takfir »

Dans certains pays musulmans comme la Tunisie et les Emirats Arabes Unis, la pratique du « takfir », consistant à excommunier quelqu’un, est déjà interdite. D’autres pays pourraient leur emboiter le pas, comme l’Algérie.

Le 31 mai, un véritable scandale a secoué l’opinion publique algérienne. En cause, l’émission de caméra cachée « Rana Hkemnak » (« On t’a piégé ! »), diffusée sur la chaîne privée Ennahar. Dans une séquence du 31 mai donc, la victime du jour, l’écrivain Rachid Boudjedra, 75 ans, est humilié par un canular de très mauvais goût.

Un écrivain algérien sommé de dire « Allah Akbar » sur une chaîne de TV privée

Alors qu’il croit débattre de ses œuvres dans une nouvelle émission littéraire, deux comédiens déguisés en policiers entrent sur le plateau, l’accusent d’être un mécréant et lui demandent de les suivre. Ils le forcent à répéter la chahada, la profession de foi, pour prouver qu’il est musulman. A noter que Rachid Boudjedra est athée et ne l’a jamais caché. C’est même de notoriété publique en Algérie.

Effrayé par ce qu’il pense être l’action d’un groupe islamiste, l’écrivain s’exécute puis tente de quitter le plateau. Les faux policiers l’en empêchent, bousculent le vieil homme, puis finissent par éclater de rire et lui annoncent qu’il s’agit d’une caméra cachée.

Cette séquence a provoqué l’indignation générale. Une centaine de personnes ont manifesté devant le siège de l’Autorité de Régulation de l’Audiovisuel, pour dénoncer une « torture mentale » qui rappelle les années les plus sombres de l’Algérie – la « décennie noire des années 1990, celle de la guerre avec groupes islamistes.

En attaquant Boudjedra sur sa supposée foi, les faux policiers de « Rana Hkemnak » ont en effet joué avec le principe de takfir (exclusion de l’Islam).

Le Takfir est une pratique d’excommunication visant les apostats

Takfir désigne le fait de rendre une personne qui se désigne comme musulmane, mécréante (kuffar), ce qui peut se traduire par « apostasie ».

Plusieurs hadiths du prophète Muhammad insistent sur la gravité du takfir :
« Si une personne dit à son frère : Ô kuffar (mécréant), alors l’un des deux le mérite. Soit l’accusateur a raison, soit c’est lui-même à qui ce nom s’applique. »

« Celui qui lance à son frère une accusation de kuffar (mécréance), c’est comme s’il le tuait.»
(Rapportées par Al-Boukhari dans Sahîh d’Al-Bukhâr)                                           

Le Coran ne dit rien du takfir

En outre, bien que l’apostasie est condamnée moralement, aucune sanction terrestre n’est préconisée dans les versets du Coran.

Ceux qui utilisent le takfir comme prétexte pour appeler au meurtre sont appelés par les autres musulmans les takfiristes. C’est un mouvement sectaire, violent et perçu comme déviant par les autres musulmans car ils rejettent aussi les autres branches de l’islam.

Quand on parle des jihadistes de l’EI ou d’Al-Qaida, ce sont des takfiristes dont on parle – bien que le terme salafiste soit souvent utilisé, à tort… ce qui arrangent les takfiristes qui renient ce nom, car « takfiri » est une insulte.

Les organisations terroristes usent régulièrement du takfir

C’est même une de leurs pratiques privilégiées pour anathématiser l’ennemi, ou celui qu’ils veulent présenter comme l’ennemi : le chrétien, le juif, mais le plus souvent, en réalité, le musulman modéré.

Daesh utilise abondamment le takfir pour se débarrasser des musulmans qui lui résistent, mais à l’intérieur de ses propres rangs ! De sorte que les jihadistes eux-mêmes condamnent ce qu’ils appellent le ghulat takfir (exagération dans le takfir) c’est-à-dire ceux qui excommunient les autres musulmans de façon excessive.

En 2016, le leader de Boko Haram au Nigéria, Aboubakar Shekau a ainsi été destitué pour extrémisme dans le takfir.

Des pays musulmans interdisent le takfir

Plusieurs pays musulmans ont signé le Pacte international relatif aux droits civiques et politiques, qui protège notamment le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

La Tunisie est cependant le premier pays musulman à interdire explicitement le takfir, qu’elle considère comme une incitation à la violence, dans l’article 6 de son projet de Constitution, adopté le 4 janvier 2014. Le 20 juillet 2014, elle reconnaît le takfir comme un crime terroriste.

En 2015, les Emirats Arabes Unis ont également passé une loi pour combattre le takfir. La loi No. 02 de 2015 élève au rang de crime la haine religieuse et interdit la discrimination « sur la base de la religion, la foi, la confession, la race, la couleur ou l’origine ethnique ».

Enfin, ces dernières semaines, la polémique autour de la caméra cachée de Rachid Boudjedra et le tollé populaire qui a suivi ont motivé des écrivains, intellectuels et d’autres personnalités algériennes à lancer une initiative pour proposer un projet de loi interdisant le takfir.

L’Algérie sera-t-elle la suivante à prendre cette voie ?

Par La rédaction

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